lundi 3 octobre 2011

Le boulot, les enfants et le reste


Les Ladigue a Dundae 9

Le Centre d’accueil pour Immigrés dans lequel j’officie n’est pas logé dans la meilleure aile du Louvre. On peut même dire que c’est dans une sorte de cuvette en bout de pente douce. La lumière y est joyeusement fournie par des néons à vous plonger dans l’atmosphère chaleureuse et décontractée du bloc opératoire du Dr. Frankenstein. Mon bureau se trouve au bout d’un couloir tout tapissé de délicats présents offerts par les réfugiés/immigrés venus trouver ici, qui un havre de paix, qui une aide attentive. Et donc mon bureau se trouve derrière une porte bleue, assez grand malgré les deux tables surmontés d’ordinateurs dernier cri (Amstrad et Honeywell Bull) qui occupent un espace trop important à mon goût. Une grande vitre donne sur une terrasse doucement pentue qui s’abandonne sablonneusement dans le clapotis délicieux d’une eau turquoise dentellée de nacre…Bref, ca donne sur les restes d’un chantier vu qu’ils ont arraché une maison y a pas longtemps. J’ai tiré sur les stores pour m’épargner cette vue peu ragoûtante, mais tout m’est tombé dessus, tringle, cordelettes, lamelles de plastique, sans espoir de réparation. Les murs de la pièce sont nus et rugueux because une espèce de crêpi gris façon revêtement pour Panzers contre les mines anti-chars donne une idée du charme spartiate et quelque peu désuet du bunker de Hitler dans les premiers jours de printemps 1945. Bref, je vous ai décoré le tout de posters un peu plus folichons, de photos de famille. Alors mon job en quelques mots consiste à aider les réfugiés et les immigrés qualifiés (ceux qui sont autorisés à entrer sur le territoire néo-zélandais, vous savez, la mesure qui fait hurler les biens-pensants en France et que les US, le Canada, la NZ entre autres appliquent depuis des décennies) à trouver un job assez rapidement. Je prends donc mon bâton de pèlerin et vais rencontrer des employeurs, agences de recrutement pour leur recommander mon client surqualifié, mais généralement sans expérience professionnelle en NZ, ni diplôme NZ. Parfois c’est facile, parfois faut ramer. A part ça, tout va très bien. Les enfants se sont complètement acclimatés, Cédric est conu comme le loup blanc et chaque fois que des adultes nous saluent, nous nous tournons vers Cédric : "ce sont les parents de qui, ça ?" Cédric et Albert sont comme larrons en foire, encore que souvent, ils en profitent pour se disputer plus que pour jouer ensemble. Phénomène nouveau, ils commencent à utiliser l'anglais entre eux, ce qui me hérisse le poil. L'autre jour, au lieu de ranger la salle a manger et de nettoyer la cuisine, je les entends dans le salon, ou Cédric prétextant un mal imaginaire se fait ausculter par Albert:

-(Albert) does it hurt here?
-(Cédric) you have to massage the foot
-(moi) Cédric ! Parle en français avec ton frère !
-Oui Papa. Mais c'est Albert qui a commencé
-I can massage the foot?
-Albert, nom d'une pipe ! Parle en français !
- C'est Cédric qui a commençé
-(Albert) Does it hurt here?
- Cédric) No, you have to massage the back
- Bon sang mais vous vous moquez de moi?? Parlez en français, bon sang de bon soir, c'est votre langue secrète ici, alors gardez-la, flûte à la fin (merde quoi, faites chier !)
-Can you play the doctor?
-Albeeeeert !!! Tu me fatigues maintenant !! Tu refuses de parler français; je vais te mettre au coin pendant dix minutes !!
--(Albert) It's not me !!!
- Allez hop! File dans ta chambre !
-Buuuuaaaaahhhhhhh !!!
-Et pleure en français je te prie !!
-Ouiiiiiiiinnnnnnnnnnnnn !!!!

-Et moi Papa, je peux jouer avec mon costume de Superman ? Parce que dans le cartoon il est très très fort et moi aussi je veux être très très fort.
-Dis donc, t'avais pas à nettoyer la salle à manger et la cuisine par hasard ?
-euuh non? Je ne me souviens pas? Je peux jouer d'abord avec Superman?
-Et comment Cédric! Toi et Superman, vous allez prendre le retro-balai a rayons X et me nettoyer a grands coups d'éponge radio-laser la table et le parquet et me mettre toutes les miettes intergalactiques que tu ramasseras avec ta pelle au bifidus actif dans la poubelle cervo-broyeuse. On fait comme ça ?

Et hop, emballez, c'est pesé. Non mais. De qui se moque-t-on ?

N'allez pas croire que je ne suis qu'un père fouettard qui formate ses enfants façon régiment d'infanterie. Mais disons que Lidia et moi nous répartissons équitablement les taches ainsi que les faveurs. Et en matière de prise de risques, je suis vachement plus décontracté que Lidia chez qui la recherche de la sécurité empêche parfois toute initiative ou marge de manœuvre. L'autre jour, j'ai emmené les enfants au parc pendant que Lidia buchait à la fac. Il y avait sous les fougères géantes et les palmiers, une attraction assez réussie: d'une tour haute de 4 mètres, partait un long câble en pente douce jusqu'au sol 20 mètres plus loin. Evidemment, Cédric chez qui plaisir rime avec risque nous tannait pour le laisser se suspendre a une sorte de minuscule siège, du genre tire-fesse qui pendouille comme une vieille paire de….euh…de boucles d'oreilles (v'voyez le genre ?) au-dessus du vide. Lidia, rien qu'à regarder le sommet de la tour, tournait de l'œil et faisait jurer Cédric que jamais, o grand jamais, il ne monterait là-dessus. "et toi aussi Achille, tu me promets de ne jamais le laisser grimper la-haut, n'est-ce pas, c'est pas autorisé en dessous de huit ans" (Cédric en a 5). "Mais enfin chérie, voyons, tu penses bien que non ! Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer" et de cracher pieusement sur le chapeau d’Albert que je n'avais pas vu accourir par l'arrière. Donc l'autre jour (ben oui je sais, je pourrais vous la faire courte, mais ca m'amuse et si ca vous emmerde, z'avez qu'a lire Les Echos), nous voici déambulant dans ledit parc et Cédric de sa voix stridente :

-       Papa, Papa, est-ce que je peux utiliser la balançoire ?
-       Mouais, je sais pas, c'est quand même très très haut et il faut faire très très attention et maman nous a interdit de monter parce que tu n'as pas huit ans et qu'ensuite si tu tombes va falloir que je lui explique pourquoi je t'ai laisse monter et ce sera ensuite râpé pour aller faire une vraie virée lorsque tu auras quinze ans et que je t'emmènerai en ULM ou sauter en parachute au-dessus du lac Tapas et qu'on y ira se prendre une mousse et que tu me demanderas des conseils pour faire le bon choix entre toutes les nanas qui te courront après et qu'il faudra que je devienne ton directeur de casting pour te permettre de pas te disperser dans le tout venant a taille basse et surcharge pondérale, tu vois ce que je veux dire ?
-       Non ?....je peux faire de la balançoire là-haut ? S'il vous plait papa ?
-       Bon d'accord. On va y aller ensemble comme ca je te tiendrai dans mes bras. Attends que je mette Albert dans la poussette histoire qu'il ne prenne pas la tangente (ce con-la).
Et au moment ou je me préoccupe de caser Albert dans la double poussette, devant Sosthène pour que celui-ci lui tire les cheveux et que leur attention soit totalement accaparée par le conflit qui ne manquera pas de s’en suivre, v'la Cédric qui pique un sprint, grimpe au sommet de la tour, s'empare de l'espèce de tire-fesse minable et hop, vas-y que je te me jette dans le vide. C'est a ce moment-la que je me suis retourné et l'ai vu partir a toute berzingue (tiens, faudra que je recherche ce mot tire de mes souvenirs de gamin) fendant l'air de son air hilare.
-       (P…… de b…… de m…… le c…. ! Mais quel c……!)
-       Regardez Papaaaaaaaa, je vooooooole
-       (surtout ne pas respirer, ne pas frémir, ne pas imaginer autre chose qu'une arrivée saine et sauve….gnnnnnnnnnnnn)
-       Ca y est je suis arriveeeee !!! C'est super chouette !!!
-       Très bien (petit con) Cédric, trrrrres bien, mais tu aurais peut-être pu m'attendre comme je te l'avais demandé, hein (triple andouille), mmmmh, n'est-ce pas ? (bon, maintenant va falloir faire des coupures dans le récit pour Lidia)
-       Je peux recommencer Papa ?
-       (T’es pas bien non ?) Non Cédric, il va falloir qu'on rentre. Et puis tu sais, ce serait mieux que tu ne racontes pas trop ca a Maman (des fois qu'elle fasse un infarctus juste avant de me coller a l'amende)

Et c'est ce fourbe de Albert avec sa petite tête de gentil italien qui vendu innocemment la mèche….Tu quoque filii disait Jules.

Quelques remarques sur les particularités locales de la vie quotidienne :

-       l'eau est gratuite
-       les communications téléphoniques inter-urbaines sont gratuites
-       les restos sont de qualité très moyenne, sans parler du vin qui confine a l’injection de migraine.
-       L’électricité est vachement chère, du coup la température dans la maison plafonne a 12 degrés….ce qui est vivifiant, vous en conviendrez.


Mon job maintenant. En clair et comme je vous l’ai dit plus haut (heureusement que je viens de me relire…) je m’occupe de fournir du boulot pour les immigrés et les réfugiés. Les immigrés sont des immigrés qualifiés dont les qualifications professionnelles ont été visées, disséquées, comparées, éprouvées, commentées, requalifiées et ajustées par les services de l’immigration au terme d’un processus de plusieurs semaines voire de mois.. Mais depuis que les réfugiés Matongolais savent qu’il y a un français au Ethnic Centre, je les vois tous les jours et m’occupe parfois un peu d’autres choses que de leur trouver du travail.

-       Alors Antoinette, qu'est-ce qui vous amène ?
-       J'ai un problème Monsieur Achille
-       Je suis la pour ca. On va vous trouver un job. Ne vous tracassez pas. Voulez-vous un café ?
-       Non merci. Mais vous pouvez en prendre un.
-       Non merci, j'en aurai pris un si vous en aviez pris un.
-       Si tu veux Monsieur Achille, je peux en prendre un comme ca tu peux en prendre un
-       Non, non, c'est si tu (on se tutoie maintenant ?) en prenais un que j'en aurais pris un, mais comme tu n'en prends pas, je ne vais pas en prendre un…enfin peu importe. Alors, dis-moi de quoi il s'agit.
-       Voila, je voudrais faire venir mon compagnon et ma fille a Dundae.
-       Ah bon, je croyais que tu cherchais un job ?
-       Ca aussi. Mais je voudrais faire venir mon compagnon et ma fille Monsieur Achille
-       D'accord. Ou est le problème ?
-       Je n'ai pas déclaré mon compagnon au départ du Talaboustan quand le Haut Commissariat aux Réfugiés nous a embarques pour la Nouvelle-Zélande. Mais je l'ai déclaré a notre arrivée a Mangaré.
-       Mangaré ?
-       Oui, c'est près d'Auckland, c'est la qu'on nous accueille et qu'on nous repose des questions sur notre situation. On déclare une fois au départ, au Talaboustan, et une fois a l'arrivée, a Mangaré. Et les gens de l'immigration regardent si les déclarations correspondent.
-       Mais pourquoi n'as-tu pas déclaré ton mari et ta fille au départ du Talaboustan.
-       En fait c'est pas mon mari, c'est mon compagnon. Mais il s'est toujours occupe de ma fille.
-       Et la fille alors ? Comment s'appelle-t-elle d'ailleurs ?
-       Justine
-       Bon et Justine, pourquoi ne l'as-tu pas emmenée avec toi ?
-       Euh…parce qu'elle était pas avec moi…
-       Comment ca ?
-       Elle était avec son père…
-       Aahhh… parce que ton compagnon c'est pas son père…..
-       Si ! il s'en est toujours occupe !
-       Je veux dire que ce n'est pas son père biologique, alors ?
-       Oui c'est ca. Mais il s'est toujours occupe de mes filles ?
-       Tu as une autre fille ?
-       Oui. Elle s'appelle Aimee. Elle est ici avec moi.
-       Mais lors comment se fait-il que le père biologique ait laisse partir une fille et ait garde l'autre. Comment s'appelle le père biologique d'ailleurs….parce que je crois que je vais prendre quelques notes tout de même…
-       Euuuhhh…
-       Tu ne te souviens plus de son nom ??
-       …….attends….je regarde sur mon portable….
-       Bienbienbien…..
-       Il s'appelle Louis-Barnabé mais tout le monde l'appelle "Carl"
-       Ben forcement….bon alors, comment se fait-il qu'il ait laisse partir une fille et pas l'autre ?
-       Ah mais non, c'est pas le père de Aimee !
-       C'est ton compagnon le père…
-       Mais non, son père il a été tué pendant la guerre…mais mon compagnon s'en est occupe comme si c'était son père…
-       Au Matongo ?
-       Au Talaboustan
-       Le père, y s'appelle comment ?
-       Au Talaboustan ?
-       Au Matongo.
-       Il s'appelait Hippolyte Désiré…
-       Mais on l'appelait "Frankie" ?
-       Comment ?
-       Non rien…Bon et votre compagnon ?
-       Salatong-Michel Louis
-       Louis c'est son nom de famille ?
-       Non…son nom de famille c'est Kibunda Mungo-Mithoulis
-       (pfffffff…..j'aurais du prendre une plus grande feuille) Bon. Et lui tu l'as déclaré au Talaboustan et a Mangaré.
-       Non juste a Mangaré.
-       Et avec lui tu n'as pas eu d'enfants ?
-       Si. Une fois quatre, et deux fois des jumeaux ; mais ils sont morts a la naissance. L'infirmière avait fait une erreur. D'ailleurs c'est pour ca que j'ai des problèmes de santé et qu'il faut m'aider à trouver un travail, monsieur Achille.
-       Ah…………………….Euh, mais alors vous avez été séparés juste avant l'embarquement pour la Nouvelle-Zélande ?
-       Non, en fait ma fille Justine, elle vit chez son père depuis 4 ans.
-       Depuis 4 ans !!?
-       Mais alors ton compagnon la, Barnabé-Carl,
-       Non c'est Louis-Barnabé mais on l'appelle Carl, faut suivre Monsieur Achille
-       Je fais ce que je peux….! Je sais que c'est limpide, cependant…hein..? Je crois que je vais prendre un café…
-       Je vous cause des soucis Monsieur Achille ?
-       Mais non mais non…on va trouver une solution…. Reprenons, Carl donc, tu veux le faire venir en Nouvelle-Zélande ?
-       Ah non pas Carl Salatong !
-       Donc Salatong, pour résumer, c'est le père de personne et c'est pas ton mari, et vous ne l'avez pas déclaré au Talaboustan, et tu-vous (j'sais plus si on se vouvoie ou se tutoie) veux le faire venir ici, c'est bien ca ?
-       Oui c'est ca.
-       Et pourquoi tu n'avais pas déclaré Justine au Talaboustan ?
-       Mais si je l'avais déclarée. Et son père était d'accord mais au dernier moment, la famille de son père a refusé de me donner mon enfant et j'ai du partir sans elle. Mais si j'ai pas déclaré mon ami c'est parce que mon oncle m'a dit que cela m'empêcherait de partir avec le HCR alors je ne l'ai déclaré qu'a Mangaré pour que j'aie une chance qu'on soit réunis en Nouvelle-Zélande.
-       Ta fille et toi
-       Mon ami et moi
-       Et pas ta fille ?
-       Si aussi. Mais si je dois choisir, je préfèrerai mon ami.
-       …………………………………..

Voila une bien longue chronique. Et pas de photos pour alléger le tout. Une simple nouvelle, il semblerait que la sortie du livre de Lidia soit ramenee au mois de juillet contrairement a septembre, mois initialement prevu. En tous cas, il va bientôt sortir !
A bientôt,
Achille

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire