lundi 3 octobre 2011

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Le Plaza. Rien à voir avec le Plaza Athénée, vous vous en doutez bien. C’est une sorte de halle assez grande avec plein de magasins. Mais surtout, il y a derrière l’abominable Starbucks, au milieu de l’allée centrale, trois ateliers de polissage, carrossage et peinturlurage d’ongles. C’est la que d’adorables midinettes au tonnage bien contenu par des vêtements ultra moulants, aux visages plus colorés qu’un casino a Las Vegas, et a la moue plus blasé qu’un fils d’émir saoudien, se font poser de faux ongles un peu moins longs et carres que le tremplin d’une piscine olympique. On peut lire dans leur regard torve sous un front bas et serré qu’elles rêvent de planter ces griffes dans le dos d’un prince charmant au terme de soixante secondes de feulements et halètements sur la banquette arrière de sa Holden (c’est Opel mais ici et en Australie, c’est rebaptisé Holden) GTI, triple arbre a cames en tête, 53 soupapes, jantes alliage, pot grosse Bertha, spoiler Le Mans et levier de vitesse a tête de mort. Aaaaaahh qui a dit que le romantisme était mort chez les jeunes ? Mmmmmh j’entends d’ici le choc des canettes de bière Tui (bière nationale qui se pisse bien) sur le plancher du carrosse chromé qui tangue sous les ahanements gutturaux (le fameux haka ?) de ce chevalier des temps moderne, mi-Maori, mi-Pakeha, au visage entièrement tatoué. Canettes qu’évidemment, je retrouverai sous peu et sous forme de milliers d’éclats de verre, sous les pneus de mon vélo. Car ici, on balance sa bouteille de bière par terre. Dans des proportions inouïes. Remplacez les déjections canines à Paname par des éclats de verre et ça vous donnera l’idée du tapis chatoyant certes, mais dangereux qui couvre trottoirs et bords de route (8 chambres a air changées en 12 mois…).

Bref, je faisais des courses pour Lidia car depuis deux mois, je ne sais quelle mouche l’a piquée, elle décide de faire des brioches, donuts, scones, voire du pain tous les samedis et dimanches matins. Elle qui ne se lève qu’après la sixième sonnerie du réveil, tous les week-ends, la voila qui saute du lit a 7 heures et avec Cédric, ils jouent aux boulangers. Mais bon, au lieu de vous raconter tout cela dans le désordre, je vais vous concentrer tout ca sur une journée histoire qu’il y ait un semblant de structure dans cette chronique-la, bon sang, hein, de qui s’moque-t-on ?

6.15. Première sonnerie du réveil. Intérieurement, je maudis l’inventeur de cette « machine infernale » que je verrai bien subir le pal sur la grande aiguille de Big Ben. Lidia qui dort gracieusement à coté, ne bouge pas un cil. Flemmarde.

6.30. Deuxième sonnerie. Je sors du lit, prépare le petit déjeuner, rejoint rapidement par Lidia qui prépare les jus d’oranges pressées pour tous. Cédric, le seul matinal de toute la famille, y compris les week-end (je ne sais de qui il tient cette manie !) se joint a nous (eeeet merde, pas un seul moment en tête-à-tête !!!1). Ensuite, on lève les deux autres, Albert et Sosthène. Albert, c’est l’opposé de Cédric. Une masse totalement inerte, un poids mort. Lui, il aurait le droit d’hiberner, il le ferait. Faut le porter jusqu’aux toilettes et ensuite, pratiquement l’habiller. A 4 ans et demi. Ni mes fulminations, mes commentaires tour à tour sarcastiques (si tu avais été le Chevalier Bayard, t’aurais pas même été capable de mettre ton armure, s’pece de tortue) ou élogieux (bravooo ! t’es en passe d’être plus rapide que ton petit frère Sosthène !!) n’y changent rien. Il a une absolue confiance en son droit d’être tel qu’il est. Tout lui glisse dessus comme un pet sur une toile cirée. La placidité granitique, une force hyper tranquille, l’Albert. Bref, avec carotte et bâton, je finis tout de même par l’asseoir a la table ou il commence par contempler pendant dix bonnes minutes son bol de céréales sans que j’y puisse déceler la moindre raison apparente (en fait, si : ……je sais qu’il continue de dormir, les yeux ouverts). Sosthène est plus simple. Un mélange de Cédric et Albert. Et puis il est propre depuis deux mois, ce qui facilite pas mal les choses (sauf les nuits). Petit déjeuner donc, puis brossage de dents pour Cédric, qui ensuite nettoie la salle à manger pendant que Albert se brosse deux dents (cote gauche en bas, le moins fatiguant), la tête appuyée sur un coude, appuyé sur l’évier de la salle de bain, pour pouvoir poursuivre son lent réveil.

8.20 Tout ce petit monde embarque dans notre toute nouvelle bétaillère a cathos d’occasion (huit places, petits rideaux coquins aux fenêtres, porte coulissante, double toit ouvrant, auto-radio retro-eclairé façon lunapark, 8 haut-parleurs pour laisser déferler le R’nB mais bon, il ne fonctionne pas, porte-canettes et jacuzzi incorporés) et en route pour l’école. Cédric va dans son école pendant qu’Albert et Sosthène vont dans leur Learning Centre (sorte de garderie éducative), chacun dans sa section d’age. Retour a la maison et Lidia file vers son bureau (qui se trouve être la salle à manger) et j’enfourche mon vélo pour pédaler allègrement vers le mien (de bureau). La, je reçois quelques clients et mon lot de curiosités.

-Hello
-Hello
-Vous venez pour un emploi ?
-Oui
-bien. Je vais commencer par vous enregistrer. Quel est votre nom s’il vous plait ?
-Gopakamar Pathrose Mudikatlu Ramachandran Poovathukumdy
-…………ouiouioui…….je vois…c’est tout votre nom ça, euh…Gopatapamachinchose loukoumdidonc ?
- Ah non, mon nom c’est Mudikatlu Ramachandran Poovathukumdy. Gopakamar Pathrose, c’est mon prénom.
- Ca vous gène si je vous appelle Steve ?

J’ai aussi des cas plus surprenants, comme cet autre indien (disciple de Sri Sri Ravi Shankar, ça en fera sourire certains d’entre vous) qui après l’interview, passe derrière mon bureau, derrière moi et me plaque ses deux puissantes pognes de lutteur turc sur mes frêles (et aristocratiques) épaules et commence à me masser si vigoureusement que je me crois pour quelques instants être un tapis de la Savonnerie piétiné par une charge d’éléphants. En fait, le gars voulait me montrer qu’en plus d’être diplôme de la faculté d’économie de New Delhi, il était aussi professeur en « Art de Vivre ».

Puis j’ai des cas plus tristes comme cette camerounaise dont le père, opposant politique avait été assassiné il y a quelques années, et qui se retrouve seule avec deux enfants de 5 et 2 ans a Palmy, fraîchement larguée par son mari qui est allé se refaire une fortune aux USA, la laissant sans argent ni visa.

12.00 Forum social a la mairie, qui réunit toutes les associations et agences qui oeuvrent dans le domaine social (les vieux, les handicapés physiques, mentaux, les asociaux, les ex-taulards, les immigrés, bref tous ceux qui nous renvoient a la fragilité de notre trajectoire). Le truc marrant, c’est qu’ici, le déjeuner n’est pas vraiment important. Donc on peut y placer des rendez-vous et chacun apporte son sandwich à base de pain de mie industriel, jambon industriel et fromage industriel (beuarkh industriel). Au début, ça surprend un peu, mais je commence maintenant à être habitué à la minute de prière en Maori qui précède toutes les réunions. « Dieu bénissez cette assemblée et les bonnes volontés qui y sont réunies et donnez-nous la force de nous écouter et de trouver ensemble des solutions (pour ne pas nous faire à nouveau baiser par ses salauds de colons)» Et ça marche !! Dieu serait-il Maori ? Faudrait qu’on essaye ça lors des négociations au sein de la Fonction Publique ou de la SNCF…(En tous cas Il n’est pas rugbyman…)

Jusqu'à 5 heures, j’ai droit à une succession d’entrevues avec des clients plus ou moins annoncés (« bonjour, je peux prendre rendez-vous ? »-« Bien sur, quand souhaitez-vous me voir ? »-« Tout de suite, c’est possible ?»), des réunions d’assos qui se battent pour obtenir le renouvellement de leurs fonds (ici, la plupart des agences ou assos fonctionnent avec des bourses privées ou publiques obtenues annuellement après examen des dossiers, d’ailleurs mon job est finance par une bourse annuelle, et en mars, si tout va mal, je devrais me retrouver au chomedu) ou pour lancer de nouvelles initiatives en faveur de l’emploi de personnes défavorisées.

5.30 heures, retour a la maison ou je retrouve Lidia qui est allée chercher les enfants. Des l’arrivée de tout ce beau monde, ça devient très militaire. Cédric et Albert sortent leurs cantines des cartables, les vident dans la poubelle s’il y a des restes de sandouiches (oui j’ai bien ecrit « sandouiches »)1 ou de bananes (la demi-pension n’existe pas malheureusement ! Tous les soirs il faut préparer des sandouiches pour le lendemain) et les nettoient. Ensuite, le premier qui entre dans le bain et se savonne a le droit de sortir en premier (le risque de ce genre de course évidemment, c’est le pugilat entre Cédric l’agile et Albert le hargneux). Généralement, Cédric gagne. …gagne le droit de dresser la table du dîner ! Ce qu’il fait heureusement avec plaisir. « Pas vrai Cédric que tu aimes bien mettre la table pour aider Papa et Maman qui travaillent dur pour toi tous les jours pendant que tu t’amuses à l’école, pas vrai, hein, dis ? » « Euh..oui Papa ». Et hop, emballez c’est pesé. Pendant que je m’occupe des deux autres (notamment de Albert dont la lenteur d’exécution témoigne d’une préparation au sommeil fort minutieuse), Lidia apprend le piano a Cédric sur un minuscule synthe de deux octaves pour nouveau-nés, v’voyez le genre… ?(« mais puisque je te dis qu’il veut apprendre la batterie !!!!! » « oui eh bien il commencera par le piano, après tout, qu’il tape sur des tambours ou des touches, c’est la même chose non ? »). Ensuite c’est le dîner. Quatre a table, Sosthène dans sa chaise haute. Un petit benedicite pour remercier Dieu de nous avoir mis la Nouvelle Zélande sur un plateau, de nous préserver d’atroces maladies et s’Il pouvait me souffler la combinaison gagnante du loto, le bonheur serait complet.

-(Cédric) Maman, maman, maaaaamannnn !!!
- (Lidia) qu’y a-t-il Cédric ?
- (Cédric) regardez Albert : il ne mange pas avec dignité !!!
(Albert sur un coussin qui lui évite d’avoir le menton au niveau de la table, est affalé comme un satrape, mâchant la bouche ouverte, un œil mi-clos).
- (Albert, très détaché) non
- (moi) Comment ca non ? M’enfin Albert, qu’est-ce que c’est que ces manières ? On dirait une bouse de vache !
-(Cédric) C’est quoi une bouse de vache Papa ?
-(moi) on ne parle pas de ca a table !
- (Cédric) mais c’est vous qui…
- (moi) et on ne discute pas non plus.
- (Albert) Papa, papaaaaa !
- (moi) quoi Albert ?
- (Albert) Cédric, ben il mange pas avec dignité ! (Cédric laisse traîner un coude sur la table)
- (Cédric) c’est pas vrai c’est toi qui n’a pas de dignité !!
- (moi) et puis c’est quoi cette histoire de « dignité » ?
-(Lidia) C’est moi qui leur ai dit de se tenir correctement a table, d’être digne. D’ailleurs Achille, tu devrais te tenir droit, je trouve que tu manques de dignité..
- (moi) mais c’est que vous commencez à me courir sur le haricot avec votre « dignité »
- (Cédric) c’est quoi un haricot Papa ?
- (moi) sois digne et tais-toi.
Tout ca en anglais évidemment, car je ne suis pas parvenu à maintenir les échanges entre frères en français. Mais je prépare ma revanche sous peu, attendez voir. En plus, Albert me rajoute des « aye » qui sonnent bon leur authentique néo-zélandais, à la fin de chaque interrogation.

Ensuite, Cédric dessert, Lidia nettoie la cuisine et je brosse les dents de Sosthène tout en surveillant le travail d’Albert dont le second œil commence à se fermer alors qu’il attaque les prémolaires avec un entrain mesuré. Puis Cédric se brosse les dents et rejoint sa mère pour l’heure de lecture/écriture qui lui a permis jusqu'à présent de rattraper son retard sur les autres élèves. De temps en temps, Albert le rejoint et Lidia fait la lecture aux deux mais ne fait travailler que Cédric. Cédric, en vrai fils de son père, n’est concentré que par ce qui l’intéresse, sinon ca traverse son esprit aussi vite qu’une pensée pieuse l’esprit de Paris Hilton. Cédric a beau être celui qui doit réviser, il se passe parfois de drôles de choses lors de ces devoirs du soir.


-(Lidia) Là, qu’y-a-t-il d’écrit ? (sous une image on peut lire : L’ours polaire peut parcourir 300km sans avoir besoin de nourriture ni de boire plus d’une fois)
-(Cédric) ….euh…L’ours polaire….euh….l’ours….euh….polaire….l’ours polaire….euh (oui bah on le saura qu’il est polaire l’ours !!!!)
-(Lidia) Cédric, ça fait trois fois que je te fais relire cette phrase et tu ne t’en souviens toujours pas !!!!! T’as intérêt à faire un effort sinon je vais arrêter les cours de..
(Cédric plein d’espoir) ….piano ?
-(Lidia) …de foot. Alors cette phrase ??? L’ours….
- (Cédric) euhhh l’ours…polaire..
-(Albert, les yeux fermés) L’ours polaire peut parcourir 300 km sans avoir besoin de nourriture ni de boire plus d’une fois.
-(Cédric au bord des larmes) Oooooooohhh mais j’allais le diiiiiiireeeeuuuuuhh !!!!1 Pourquoi Albert il m’interrompt tout le temps ?!!!

Une heure de cours du soir tous les soirs, week-end compris et ensuite a 20 heures, hop, tout ce petit monde au lit. 21 heures, après être venu à bout de la paperasserie, j’attaque la musique. Soit le déchiffrage des manuels d’utilisation des différents logiciels que j’ai, soit la guitare, soit la basse, la batterie ou l’écriture des textes. Tout ça soutenu par un mélange délétère de chocolat, vin+bière, chewing gum et aspirine, propice a l’inspiration. Je ne chante que les week-ends, pendant la sieste de l’après-midi, en priant que les voisins d’en face n’entendent pas « kiss meeeeeeeeeee my looooooooooooooove !!!!!!!!!!!!!!! ». Pendant ce temps, Lidia retourne au travail jusqu'à 23 heures.

Parfois, je suis de service pour représenter le Centre d’accueil à des sauteries en ville histoire qu’on ne nous oublie pas au moment de l’allocation des fonds de fonctionnement. L’autre soir par exemple, en pleine coupe du monde de rugby, j’étais à l’inauguration de la nouvelle permanence du député local qui est aussi ministre de l’Education et d’un tas d’autres choses, avec tout un tas de travailleurs sociaux et de sommités locales. A un moment donné, on me signale derrière moi une dame qui me tend la main, je la lui serre en me nommant « Achille de Ladigue d’Ondaine, du Centre d’accueil pour immigrés». « Helen Clark, Premier ministre » qu’elle me répond. Là j’ai connu un grand moment de surprise. Comme je ne m’attendais pas du tout à ce genre de rencontre, j’ai été un peu pris au dépourvu. Heureusement, je suis rapidement passé de la surprise à la déroute totale en lui disant que j’étais français, ce au lendemain du 20 a 18 du XV de France…(grâce à une superbe passe en avant « oubliée » par l’arbitre). Tout ça pour vous dire qu’ici, les politiques se déplacent très coolement, sans plus de deux flics ni grosse artillerie. Le Ministre de l’Education a pris le micro, s’est proclamé DJ de la soirée et à fait un discours très décontracté. On se serait davantage cru à la Kermesse de Sainte Honorine des Pertes qu’à une inauguration officielle en présence du Premier Ministre. Apres avoir éclusé quelques verres de cet horrible vin néo-zélandais qui contient (9 bouteilles sur 10) des traces d’œufs, de lait et de poissons (pour le filtrage me dit-on) et qui vous flanquent la migraine façon guillotine et dégusté quelque canapés fait maison (un traiteur français, même celui d’un supermarché, ferait fortune ici !!), je rentre à bicyclette à la maison.

Lidia a repris du poil de la bête malgré les régulières avanies subies de la part de ses deux superviseurs américains (le premier est un écrivaillon raté pas même capable de publier une annonce dans une revue immobilière, l’autre une sorte de poète mégalo et dangereux dont e bureau est tapissé d’articles locaux ou universitaires à sa gloire, dans Harry Potter il aurait joué le rôle de Gilderoy Lockheart) et prépare activement sa revanche d’ici un mois. En tous cas, la sélection surprise de son livre Le Ciel en cage (que bien évidemment vous avez tous acheté, bande de menteurs !) pour le Prix Médicis a été une très bonne nouvelle et nous espérons sans trop y croire, qu’elle l’aura. Wait and see. En tous les cas, la version originale qui sera publiée en début d’année prochaine par Random House, tiendra compte des remarques qui ont été faites sur la version française et sera donc (encore) meilleure. Pour les amoureux de l’original, vous pourrez donc l’acheter dans sa « vraie » version l’année prochaine. Et cette fois-ci, ils n’oublieront pas la page des remerciements que je vous joins parce qu’elle concerne certains d’entre vous.

Minuit, un petit coup de Harry Potter (toujours aussi plaisant) et hop, la clef des songes est a moi jusqu’au lendemain que ce foutu réveil viendra violer de sa sonnerie sadique.

J’en profite pour vous dire que je vais me mettre un peu au vert ces prochaines semaines et que je ne pourrai pas tenir le rythme enfiévré de mes chroniques presque mensuelles, et ceux en dépit des très très nombreux emails que vous m’envoyez après chaque livraison. Vous tenez donc sans doute la dernière de mes chroniques entre les mains.

Enfin, à la prochaine…

Achille

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